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La guerre des Gaules
La bataille d'Alésia
Du côté de César

La bataille d'Alésia
52 avant JC

          A cette date, une grande bataille, qui vit s'affronter 60.000 hommes du côté des Romains et près de 300.000, dit-on, du côté des Gaulois, mit fin à la guerre des Gaules. C'est du moins ce qui ressort des "Commentaires de la guerre des Gaules" écrits par Jules César en 51 av. JC. Son armée de dix légions aurait alors affronté une armée coalisée de toutes les tribus gauloises autour de l'oppidum (ville fortifiée) d'Alésia. L'issue en fut, raconte-t'il en termes laconiques, la reddition des Gaulois, dont 40.000 furent réduits en esclavage, et de leur chef Vercingétorix, qui fut fait prisonnier, emmené à Rome au triomphe de César et mis à mort.

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La guerre des gaules de Jules César

Le texte de César a fait l'objet de nombreuses analyses et critiques. C'était indiscutablement un ouvrage de propagande à l'usage des Romains, une oeuvre d'un incontestable talent littéraire et rhétorique, mais aussi pour l'historien une version des faits partiale et déformée. Le récit est souvent vague et imprécis quand il s'agissait des nombreuses difficultés que César a rencontré pendant cette guerre. Il est sujet à caution lorsqu'il prétend reproduire les propos des chefs gaulois alors qu'il était absent. Tout cela bien qu'il se soit appliqué à donner à ses écrits l'apparence d'un compte rendu factuel et objectif. Les études les plus récentes montrent, en outre, que César ignorait beaucoup de choses des Gaulois, de leur mode de vie, de leur culture et de leur organisation, tant il était plein de suffisance et de complexes de supériorité à l'égard de ces "barbares". Cependant les "commentaires" demeurent un précieux témoignage : il rend compte de l'importance de cette bataille du point de vue des Romains, mais aussi du point de vue des Gaulois, ne serait-ce que par les lacunes, les silences, les erreurs qu'il contient et que les recherches archéologiques récentes ont mis en évidence. Que s'est-il vraiment passé ?

La guerre des Gaules a été délibérément provoquée et engagée par César en 58 av. JC, l'année de son proconsulat (après avoir été une année consul à Rome, il a obtenu du Sénat romain une armée de 4 légions et la prolongation de sa gestion des provinces de Gaule Cisalpine et Transalpine, soit l'équivalent de la plaine du Pô et de la Provence, pendant 5 ans; ce mandat a été prolongé et son armée montée à 10 légions, soit près d'un tiers de l'ensemble des armées romaines). De 58 à 53 av. JC, il a combiné des manoeuvres diplomatiques d'alliance, de corruption, de provocations et d'expéditions brutales en dressant les tribus gauloises les unes contre les autres. Il a pu ainsi étendre son "protectorat" sur la vallée du Rhône, l'Auvergne, la Bourgogne, le Dauphiné et le sud du Bassin Parisien. Il réussit même à constituer un "conseil des Gaules" à sa dévotion, en rivalité directe avec le "conseil de toutes les Gaules" traditionnellement piloté par l'ordre des Druides dans la forêt des Carnutes.

En 53, ce "protectorat" pesait de plus en plus lourdement sur la population gauloise. Alors que les récoltes avaient été mauvaises, , l'avitaillement de ses dix légions aux frais des gaulois, et la transformation brutale de l'économie locale de troc en économie monétaire de profit représentaient une insupportable ponction et un bouleversement profond de la vie quotidienne des Gaulois. En outre, César avait fortement indisposé les populations en multipliant les exactions, massacres et pillages. Car son but n'était pas seulement de coloniser la région mais encore de s'enrichir, comme le faisaient alors tous les proconsuls. En plusieurs endroits, les "négociatores" de César (en fait ses fourrageurs et ravitailleurs) furent agressés et massacrés par des paysans révoltés. Une des plus puissantes tribus gauloises, les Arvernes, se mobilisa, trouva des alliés et un soutien financier de l'ordre des druides, semble t-il, et élirent un chef que César nomme Vercingétorix.

La lutte entre cette armée et les légions de César dura presque toute l'année 52 av. JC. Si l'on se réfère aux "commentaires" de César, les premiers contacts furent à son avantage et son armée s'engagea au coeur de l'Auverge jusqu'à la capitale des Arvernes, Gergovie. Là, Vercingétorix changea de tactique. César croyait les Gaulois en fuite et réfugiés dans l'oppidum impressionnant de la ville. En fait, après analyse, il s'avère que César était tombé dans un piège, dont il eut le plus grand mal à se dégager au prix de lourdes pertes (de son propre aveu 10% de ses effectifs). Il réunit alors toutes ses légions et se replia sur la vallée du Rhône. Voulait-il protéger Nîmes et Arles, ou manoeuvrait-il ? Vercingétorix le suivit-il et fut-il à son tour piégé, ou lui tendait-il un nouveau guet-apens ? Toujours est-il que les deux armées se retrouvèrent face à face devant Alésia.

La bataille d'Alésia

Un premier affrontement de cavalerie tourna au désavantage des Gaulois, César ayant reçu le renfort d'une redoutable cavalerie de mercenaires germains. L'infanterie gauloise s'enferma alors dans l'oppidum et César l'encercla d'une ligne de fortifications. Les Gaulois ont pourtant réussi à faire sortir leurs cavaliers du siège: ils n'avaient pas de quoi nourrir leurs chevaux; en outre ils avaient donné mission à ceux d'entre eux qui s'échappaient ainsi de mobiliser toute la Gaule en une grande armée (une armée de secours, prétend César) qui permettrait d'anéantir l'armée romaine en la prenant en tenaille sur deux fronts à la fois. Mais les Gaulois ne disposaient que d'un mois de ravitaillement. L'armée "de secours" fut, dit César, d'un effectif considérable (250.000 hommes) mais elle n'arriva que 6 semaines plus tard. Entre temps, César avait été informé de cette opération (par des espions ? Par des transfuges ?) et avait fait construire une seconde enceinte pour le protéger des attaques venues de l'extérieur. Lorsque les Gaulois donnèrent l'assaut, à la fois depuis l'oppidum assiégé et depuis les "secours", César put donc leur résister victorieusement. Le lendemain de ces derniers combats, les assiégés, épuisés, se rendirent tandis que l'armée gauloise extérieure se dispersait.

C'est à partir de ce moment que les récits divergent et qu'apparaît une controverse assez confuse. Les "commentaires" de César sont à l'origine de cette confusion avec les autres auteurs romains qui ont tous polarisé leur attention sur le chef des Gaulois, Vercingétorix. Ils faisaient de cette bataille un duel entre deux personnalités, mais si celle de César est bien connue, celle de Vercingétorix est très problématique. Il y a donc deux aspects de cette bataille à considérer si nous voulons examiner son importance et sa postérité.

Du côté de César

En ce qui concerne les vainqueurs, il y a d'abord la personne de César, mais aussi ce que représenta la Gaule enfin conquise pour les Romains. A Rome, en effet, le souvenir des précédents affrontements avec les Gaulois revêtait l'importance d'un véritable traumatisme. C'est celui de l'invasion celtique en 390 av. JC, conduite par le chef Brennus, qui s'empara de la ville de Rome et exigea une rançon énorme en déclarant "Vae victis", "Malheur aux vaincus !". La conquête de la Gaule jusqu'aux rives du Rhin par César prenait pour les Romains la figure d'une revanche éclatante. Par ailleurs, les Romains appréciaient l'apport économique de cette région riche et peuplée, cliente importante de leur production d'huile et de vin et fournisseuse de tonneaux, de chariots, d'esclaves et produits métalliques de grande qualité. Mais ce n'est pas le principal.

La victoire d'Alésia fut un tournant dans la carrière de César. Elle lui apporta une fortune considérable (on parle de 600 millions de sesterces et de dizaines de milliers d'esclaves) et un immense prestige (il fut appelé depuis le "divin César"), qu'il entretint habilement par de grandes libéralités au bénéfice de ses soldats et de la plèbe romaine, et par la publication de ses "commentaires" rédigés dans les mois qui suivirent la bataille d'Alésia. Entre 52 et 46 av. JC, il entra dans Rome avec ses troupes, élimina tous ses adversaires politiques, accapara tous les pouvoirs. Un quadruple triomphe fut célébré en son honneur en 46, à l'occasion duquel Vercingétorix fut mis à mort, et César se fit nommer "imperator". Deux ans plus tard, il était assassiné. Mais son fils adoptif et successeur, Octave, reprit à son compte les pouvoirs et le titre de César empereur. L'empire romain était né ! On peut donc penser qu'Alésia fut une construction de César en vue de ce triomphe, la pièce maîtresse d'une vaste machination politique, le piédestal de l'édification d'un des plus puissants empires au monde.

Et Vercingétorix ?

Les suites de la bataille d'Alésia ne furent pas moins importantes pour les Gaulois. Nous savons fort peu de choses aujourd'hui de cette "confédération" de peuples et de tribus. Il semble bien que la guerre des Gaules y mit fin, et avec elle détruisit une organisation politique complexe, une société hiérarchisée, une religion druidique et une culture paraît-il savante. Beaucoup pensent, encore aujourd'hui, que la romanisation de ce qui est désormais appelé "la Gaule" fut bénéfique mais, en vérité, on n'en sait rien puisqu'il n'est resté presqu'aucun souvenir des Gaulois d'avant Alésia, hormis les "Gallo-Romains". Il y a là un paradoxe : la célébrité du nom de la bataille est inversement proportionnelle à la connaissance qu'on a de ses protagonistes locaux, à tel point qu'on hésite encore sur la question de savoir où se trouvait Alésia. Il est des auteurs pour dire que "la Gaule", "les Gaulois", "Vercingétorix" sont des faits mineurs que César a amplifié, à tel point qu'il peut en être considéré comme l'inventeur.

C'est un fait que de nombreux auteurs, et non des moindres, ont critiqué la relation de la bataille par César. Montaigne, dans ses annotations sur la guerre des Gaules, remarque qu'un chef authentique n'aurait jamais commis l'erreur que fit selon lui Vercingétorix de s'enfermer avec ses troupes dans une forteresse, car il aurait dû au contraire parcourir lui-même tout le pays pour le soulever contre l'envahisseur. Napoléon I° à Sainte Hélène remarque qu'il était invraisemblable d'entasser 80.000 hommes dans une cité fortifiée alors que 20.000 hommes auraient suffi à la défendre (Précis des guerres de César, p 50, Gallica). Il y a donc trop d'incohérence dans le texte des "commentaires". A travers la bataille d'Alésia la Gaule n'est donc pas vraiment ce que César en a dit même s'il en a quelque part révélé l'existence.

C'est un fait établi que la Gaule, les Gaulois furent découverts avec le texte de César, qui fut retrouvé par un moine érudit au IX° siècle. Jusqu'au XIX° siècle ce fut la seule source de connaissance du pays et de la civilisation Celtique. Les lecteurs attentifs de ces époques parvinrent toutefois à localiser l'endroit approximatif de la bataille à Alise Sainte Reine à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Dijon. Déjà au XV° siècle puis au XVIII° siècle, la guerre des Gaules apparaissait à certains comme un conflit majeur entre nos ancêtres et l'envahisseur romain. Ils s'emparèrent de certaines relations d'auteurs romains qui contestaient la véracité du récit de César pour mettre en évidence un élogieux portrait de ses adversaires en la personne de Vercingétorix.

La construction de la légende

C'est ainsi qu'est née la légende de Vercingétorix : le chef valeureux qui vint à cheval, vêtus de ses plus beaux atours, au devant de César assis sur une estrade comme sur un trône, et jeta ses armes à ses pieds. Un geste qui faisait du vaincu un "homme célèbre", une figure digne des tableaux (notamment la peinture de Lionel Royer en 1899) et des manuels scolaires (surtout celui d'Ernest Lavisse), un représentant glorieux malgré sa défaite de "nos ancêtres les Gaulois". Comme l'écrit un poète, il est le "soldat vaincu resté plus grand que [son] vainqueur". Cette scène théatralisée a été représentée à la fin du XIX° siècle. Il est impossible à l'historien de savoir si elle a vraiment eu lieu. Ce qui importe, c'est qu'on l'a représentée et qu'elle a été gravée dans les mémoires de plusieurs générations de Français. Plusieurs statues de Vercingétorix ont été dressées, à Alise, mais aussi à Clermont-Ferrand et Bordeaux. La célébrité d'Alésia a été à cette époque éclipsée par celle de ce héros légendaire.

Alésia est donc devenue le lieu symbolique de l'apparition dans l'histoire de France d'un peuple. En Alésia s'est mis à exister un passé, une origine : de faire-valoir de César, cette bataille, ces combattants valeureux mais vaincus et leur chef sont devenus l'incarnation d'une Gaule unifiée, l'archétype de la Nation. Ce Vercingétorix, dont le nom même pourrait seulement signifier en langue gauloise le titre de généralissime d'après les philologues, et dont en fait on ne connaît qu'une effigie idéalisée sur quelques pièces de monnaie, aurait été inventé par des historiens romains, Florus, Plutarque, Dion Cassius, pour faire de l'ombre à César, en opposant la générosité du Gaulois à la cruauté implacable du futur empereur. Cette notoriété du Gaulois aurait été alors retournée en gloire historique par les historiens du début du XX° siècle, notamment par Camille Jullian et Ernest Lavisse, pour en faire le fondateur de "la Gaule". Le fait que des auteurs de bande dessinée (Goscinny et Uderzo) ait fait un succès international de librairie d'une imagerie légèrement caricaturale des Gaulois n'enlève rien à cette représentation. Oserai-je dire que la potion magique de leur druide, c'est métaphoriquement la mémoire qui nous en a été transmise ?

En fait, cette mémoire est divisée. Au XX° siècle finissant, il y eut ce qu'on a appelé "la seconde bataille d'Alésia". La localisation d'Alésia sur le plateau d'Alise Sainte Reine remonte au IX° siècle mais uniquement par un rapprochement entre la topographie des lieux et la description qu'en a fait César. En 1855, un autre site a été proposé par la même méthode, celui d'Alaise, près de Besançon. Sous l'impulsion de Napoléon III qui voulait écrire un livre sur César, des fouilles archéologiques systématiques ont été entreprises à Alise et l'on exhuma des traces assez précises des travaux du siège de César, qui ont été confrontées avec les nombreuses découvertes d'objets, de pièces de monnaie et d'ossements dans la région. Il y eut pourtant plusieurs autres sites qui furent candidats à cette identification, et la controverse fit rage. L'âpreté des débats est la confirmation de la force symbolique du souvenir de la bataille. L'enjeu était de désigner le lieu où l'on pourrait matérialiser l'identification de "la Gaule" à la France et lui procurer une ancienneté telle qu'elle surpasse l'invention de César. Il est encore et toujours celui de trouver à nos ancêtre une autre origine que romaine.

L'invention des Gaulois

On a pu dire que César représentait l'Etat centralisé, dictatorial et que c'est la raison pour laquelle Napoléon III et d'autres, plus tard, ont préféré représenter les Gaulois comme les vaincus de la civilisation romaine à Alésia. On a soutenu aussi qu'à l'inverse, la coalition gauloise commandée par Vercingétorix pouvait préfigurer la démocratie pluraliste. On se rend compte que la légende est le résultat d'une collaboration étroite entre Jules César et Napoléon III ! Mais ce sont là des extrapolations hasardeuses pour justifier la localisation d'Alésia ici ou là. Il est totalement anachronique de projeter ainsi dans le passé les débats actuels sur l'Etat moderne. Ce furent surtout des rivalités locales qui sont apparues et opposent encore l'analyse des textes et le résultat des fouilles archéologiques. En fait il ne s'agit pas directement de politique, mais pourtant de quelque chose qui s'écarte un peu de la conception d'un pays, de sa civilisation, de sa centralité et de sa rigueur étatique que nous avons sans doute hérité des Romains. Derrière la légende déjà très romanisée d'une Gaule unifiée et d'un chef charismatique, se profile l'insaisissable : une réalité foisonnante et multiple, toujours manipulée et toujours résistant à la manipulation. Les Gaules d'avant César, les Gaulois qui lui ont résisté ont été irréductiblement une diversité de cultures, une multiplicité de "pays" (au sens du latin "pagus") capables néanmoins de se fédérer pour défendre leurs singularités. Le Vercingétorix inconnu, la ou les civilisations gauloises irréductiblement multiples, subsistent malgré tout par de nombreuses traces qui font que leurs descendants n'ont jamais été totalement romanisés; ils sont restés "gallo-romains". Où est Alésia ? Dans notre mémoire, car la réponse à cette question n'est décidément pas topographique ! Que représente Alésia ? La preuve que les Gaulois ont bel et bien existé !

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Eléments de bibliographie : quelques ouvrages récents.

Alésia, par Olivier Buchsenschutz et Alain Schnapp, in Les lieux de mémoire, dir. Pierre Nora, coll Bibliothèque des Histoires, Gallimard, 1992

Alésia par Jean Louis Brunaux, in Les énigmes de l'histoire de France, dirigé par JC Petifils, Perrin 2018

César contre Vercingétorix, par Laurent Olivier, Belin, 2019

Et Vercingétorix ?
La construction de la légende
L'invention des Gaulois
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